Un désert tout blanc avec au bout une fenêtre. Cette petite femme qui attend sort sa tête en hésitant. Ses yeux noirs tournent en rond. Un petit saut. Les voila tout deux sur le sable; ils se regardent perdus. Ils avancent en trottinant sur le sable, insouciants.

Secousse.

Ils sont happés, glissés, tombés dans un élan noir, un gouffre sombre.
Ils ouvrent leurs paupières. Une boite de nuit, des milliers de sauterelles, d'insectes rouges et de vipères électriques se frôlent et dansent rapidement. Au bar, les deux yeux commandent de quoi boire d'un clignement. "Gin Tonic"
Il se joignent au jeu. Ils se mêlent dans la foule insectoïde, tournent, roulent, hurlent. Des halos de lumières virevoltent.

Secousse.

Une bouche rouge happe ce méli-mélo. Elle pousse un cri féminin, un petit "HOU" sensuel et vaporeux. Sa langue longue de déroule sur la scène, écrase les petits grains de vie qui éclatent et disparaissent.

Lola s'enfuit avec dans son ventre nos deux yeux. Elle marche et arrive jusqu'a une montagne en forme de chapeau d'asie. Une petite porte, une grotte dans la roche. En bois. Lent. Nuit. Elle entre, s'installe avec aisance sur le canapé tranquille.

Le téléphone sonne. "Allo" "Je vais ou je veux"

Lola s'est évanouie, ses globes oculaires discutent par terre avec nos deux yeux. Sur le vieux parquet humide et écorché, les quatre boules noires et blanches s'apprêtent à sortir.
Dehors, sur le sable bleu nos quatre yeux marchent et atteignent un petit campement. Un feu de camp frétille. Des êtres humains assis, allongés, vides, marécageux. "Ecoutez le silence"
Bien sur, nos quatre yeux ne peuvent pas écouter le silence.

"Je vais ou je veux"
La terre tangue, et nos amis les yeux incantent vers le silence. Ils incantent, pas à pas, dans leur périple terrible et saccadé. Ils incantent vers le silence, grand ouverts mais impuissants.

Lola se réveille. "AAAaaaaaaaaa"
Lola hurle dans son obscurité, aveugle. Elle hurle et se tord se sur le parquet écorché. Elle hurle et vide ses forces peu à peu. Elle hurle encore les dernières bribes de forces. Qui persistent encore, subsistent un faible chemin de son. Qui s'éteint. Elle trouve enfin le silence. Un "HOU" sensuel qui serpente. Ses larmes sont séchées maintenant sur le bois. De longues traces rouges salées. Elle se lève, sort et marche sur les dunes froides. La fenêtre réapparaît. Elle s'approche et ses mains touchent la peinture froide sur le bois écaillé de la fenêtre. Elle s'agrippe, fort, en serrant. Et jette son corps de l'autre coté de la fenêtre. Happée dans l'inconnu.

"Ha" Le rire des nuages.

Il pleut, et nos quatre yeux sont biens seuls. Ils se balancent sur des chaises, sous un préau en plastique jaune transparent et ondulé. Dans une cours de maternelle, il regardent devant eux les constructions. Le sol carrelé orange rosé, de larges octogones collés les uns aux autres. Les carreaux tournent sur eux même, enclenchés par chaque gouttelette de pluie. Un immense balai anarchique dirigé par un maestro enragé.
Un vent fort balaye nos quatre yeux qui se cognent contre les carreaux ivres. Ils sont projetés dans toutes les directions, sautent, bondissent avec la pluie. Chocs, vitesse, envols et tourbillons. Et la pluie s'arrête, et les carreaux qui tournoyaient perdent de leur vigueur. Ils laissent glisser nos quatre yeux qui tombent de l'autre coté.

Un mare, ou une mer, un lac peut être. Nos héros flottent sur l'eau et ne voient plus rien. Il n'y a pas de lumière de l'autre coté. Juste le sentiment de l'eau sur leur chaire blanche. Ils coulent, se déposent au fond. Mais il n'y a pas de fond. Il se déposent vers le silence impossible.
Vers le silence...